3Je rends grâces à Dieu que je sers, à la suite de mes ancêtres, avec une conscience pure, lorsque, sans cesse, nuit et jour, je fais mémoire de toi dans mes prières. 4En me rappelant tes larmes, je brûle du désir de te revoir, afin d’être rempli de joie. 5J’évoque le souvenir de la foi sans détours qui est en toi, foi qui, d’abord, résida dans le coeur de ta grand-mère Loïs et de ta mère Eunice et qui, j’en suis convaincu, réside également en toi. [2 Tm 1, 3-5]
deuxième lettre de l’apôtre Paul
à son disciple Timothée
Dès le baptême, nous avons reçu la grâce baptismale qui nous fait enfants de Dieu. Nos parents et nos aïeux, que je vénère au plus haut point, ont su conserver ce merveilleux patrimoine; ils nous ont légué l’héritage de notre foi vive et de notre langue si belle. [VA II, 523-524]
Marie-Paule, Vie d’Amour, volume II, pp. 523-524
(chapitre 105 «Un merveilleux patrimoine», août 1967)
Le souffle ardent de nos ancêtres français a inculqué en terre canadienne l’amour de la foi et de la patrie. Une colonie a grandi à l’ombre du clocher, ouvrant les âmes à la vraie joie, aux valeurs d’amour enseignées par des êtres valeureux et religieux qui ont quitté leur patrie en vue de former un peuple fort dont la vie exaltante palpiterait de surnaturelle compréhension.
Mère Paul-Marie, article «Mets ta joie dans le Seigneur;
il comblera les désirs de ton coeur», signé le 21 mars 1996,
dans le journal Le Royaume, n. 110, mars-avril 1996, p. 3 [LR-110]
Aimer, c’est donner et se donner. Nos aïeux savaient que la perfection de la vie vient des efforts de vertu et de dévouement, car, dit-on, la vie n’a de sens que pour ceux qui croient et qui aiment, et elle est féconde dans la mesure où l’on accepte de la vivre selon l’esprit de Dieu.
Mère Paul-Marie, L’Hosanna de la Vie!,
achevé d’imprimer le 13 mai 1998, p. 50
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Michel Michelon dit Lorange
(1730-1810)
J’aimerais consacrer une page de mon blog à mon ancêtre Michel Michelon dit Lorange (1730-1810). En 1756, il émigra de France en direction de la Nouvelle-France, où il fera souche. On peut trouver sa fiche parmi les pionniers de la Nouvelle-France et du Québec ancien répertoriés dans le Fichier Origine. Dans le cours de la présentation, je ferai quelques liens avec l’histoire générale ou ecclésiale. Je publie cet article en la fête liturgique de sainte Clotilde (4 juin), l’épouse de Clovis, roi des Francs, lequel embrassa la religion de sa femme, entraînant son royaume à sa suite. Le baptême de Clovis fit de la France la «fille aînée de l’Église», parmi les Nations chrétiennes d’Europe, et l’on peut voir en Clotilde la «mère des Nations chrétiennes».
Cette publication survient à la veille du 75e anniversaire du Débarquement de Normandie, initié dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, les troupes alliées prenant d’assaut les cinq plages (Utah, Omaha, Sword, Juno, Gold) et la pointe du Hoc, en ce fameux «Jour J» («D-Day»).
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Michel est né le 27 février 1730, à Irigny, village de France situé à une dizaine de kilomètres au sud de Lyon, sur la rive droite du Rhône. Il est baptisé le lendemain, 28 février, dans l’église paroissiale placée sous le vocable de Saint-André-et-Sainte-Anne. Selon l’acte de baptême, ses parents sont Louis Michalon et Clémence Buyet (Buier, Buyer). Son parrain s’appelle Michel Basson et sa marraine Marie Senevas (la signature inclut le patronyme Basson, ce qui laisse entendre qu’elle est l’épouse du parrain). Le prêtre vicaire qui a administré le baptême s’appelle Jean-François Dalenx.[1]
Acte de baptême de Michel Michalon, 28 février 1730,
paroisse Saint-André-et-Sainte-Anne, Irigny, province du Lyonnais
(département du Rhône, aujourd’hui métropole de Lyon)
[La transcription de l’acte ci-dessous inclut l’ajout de quelques signes de ponctuation ou accents.]
Michel fils naturel et légitime de Louis Michalon et de Clémence Buier ses père et
mère est né le vingt sept du mois et le vingt huitiesme février mille sept cent trente
a esté baptizé dans l’église paroissiale d’Irigny par moy vicaire d’Irigny; son
parrain a esté Michel Basson fils de Antoine Basson; marraine Marie
Senevas fille de feu Guillaume Senevas vivant habitant de Charly; en présence
de Antoine Basson, Jean Baptiste Perrachon, Pierre de L’Hôpital, César et Antoine
Charrasson frères, Jean Baptiste Burel.
Michel Basson
Marie Senevas Basson
Antoine Charrasson
Baptiste Burel
P. [Pierre] de L’Hôpital
[Jean-François] Dalenx vicaire
Il est possible de remonter encore de quelques générations dans l’ascendance généalogique de Michel, suivant la lignée paternelle où le patronyme s’est transmis de père en fils.
- Louis Michalon (maître tisserand) et Clémence Buyet, mariage le 22 juin 1718, à Irigny.
[Parents de Michel. J’ai répertorié dix enfants de ce couple, tous des garçons. Huit de ceux-ci sont morts en bas âge (dont un par noyade à l’âge de 10 ans). J’ignore la destinée de Matthieu, l’aîné de la famille. Il reste Michel, notre ancêtre pionnier, le sixième des enfants.]
- Gaspard Michalon (valet chez monsieur de Madières à Irigny; journalier) et Marie Fuchier (Fuchy), mariage le 18 novembre 1681, à Brindas (autrefois Briendas; commune située à environ une quinzaine de km d’Irigny et de Lyon).
[Parents de Louis. J’ai également répertorié dix enfants de ce couple, cinq garçons et cinq filles. Quatre enfants sont morts en bas âge. Outre Louis, se sont également mariées Catherine et Agathe. J’ignore la destinée de Matthieu, Marguerite et Jean.]
- Antoine Michalon (laboureur)[2] et Jeanne (du) Bleternay (Dubiternay).
[Parents de Gaspard. J’ai répertorié seulement quatre enfants de ce couple, dont Gaspard (1658) qui s’est marié. J’ignore la destinée des trois filles: Benoîte (1657), Antoinette (1664) et Catherine (1668). Sous le curé Jean Lapierre (1636-1677), le registre paroissial de Brindas ne contient que des actes de baptêmes, dont ceux des quatre enfants mentionnés. Si Antoine et Jeanne se sont mariés à Brindas, nous ne saurons pas la date de leur mariage (l’acte de mariage serait pourtant précieux, afin de connaître le nom de leurs parents). Selon leurs actes de sépulture, Antoine est âgé d’environ 64 ans (†le 3 janvier 1679) et Jeanne d’environ 60 ans (†le 1er avril 1693). Antoine et Jeanne seraient donc nés respectivement vers 1614-1615 et 1632-1633. Nous pourrions situer leur mariage vers 1650-1655.]
Le patronyme se rencontre d’abord avec deux «l» («Michallon»), dans le registre paroissial de Brindas; ensuite avec un seul «l» («Michalon»), dans le registre paroissial d’Irigny; mais toujours avec un «a». La forme «Michelon» avec un «e» apparaît pour la première fois dans le contrôle militaire de 1749 (voir plus bas) et sera celle retenue par Michel et sa descendance en Nouvelle-France. Les registres paroissiaux porteront toujours «Michelon» avec un «l», tandis que la forme «Michellon» avec deux «l» se rencontrera aussi dans les actes notariés.
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Dans l’Armorial de Dauphiné de Gustave de Rivoire de La Bâtie,[3] se trouvent les armoiries de la famille ou de la maison de Michallon/Michalon (p. 412), ainsi blasonnées ou décrites (p. 413):
d’azur, à un escalier de trois marches, posé en pal et alaisé d’or
alias: d’azur, à trois échelons d’or
Elles s’accompagnent de la devise:
Virtus coeli gradus
Traductions possibles: «La vertu est le chemin du ciel»;[4] «Le mérite est un degré vers le ciel»;[5] «La vertu est l’escalier du ciel» (ma proposition).
Le nom primitif de cette famille dauphinoise paraît être celui de Lathod ou Lathodi. À Coublevie,[6] on trouve un Jean et un Antoine Lathodi, alias Michalon (1481 et 1507). Claude Michalon est chapelain de La Buisse (commune limitrophe de Coublevie) en 1530. Michel et Gaspard sont aussi des prénoms qui apparaissent dans ce secteur en lien avec le patronyme Michalon (1551 et 1605). Le plus réputé est Jacques, lequel servit dans les armes sous trois rois (Henri III, Henri IV et Louis XIII) et «se signala au siège de Saint-Tropez, qu’il défendit pendant six semaines, eut plusieurs chevaux tués sous lui, et fut grièvement blessé» (Armorial de Dauphiné, p. 412). Le 17 février 1594, il épousa Clauda d’Hières.[7] Il fut anobli en 1598.
La lignée de mon ancêtre Michel rejoint possiblement celle des Lathodi-Michalon, à quelques échelons supérieurs de l’ascendance généalogique, considérant la proximité géographique (Coublevie est à une centaine de km de Lyon) et la présence de prénoms similaires dans les deux lignées (Antoine, Claude, Gaspard, Michel).
Origine et signification de «Michel» (et ses dérivés «Michalon», «Michelon»)
Michel (Michaël, Mikaël, Mikhaïl, Misaël) est le nom du chef ou du prince de la milice céleste des anges du bien. Ce nom vient de l’hébreu et signifie: «Qui est comme Dieu?», en latin: «Quis ut Deus?».[8] Il est l’un des «sept Anges» majeurs ou principaux selon la tradition biblique,[9] qui nomme également Gabriel et Raphaël.[10] Le culte de l’archange saint Michel est très répandu. Mentionnons le sanctuaire de Monte Gargano, le château Saint-Ange et le Mont Saint-Michel. Il est le patron et le protecteur de la France; il guerroya aux côtés de Jeanne d’Arc. Le nom de Michel est très populaire, à la fois comme prénom et comme patronyme (c’est-à-dire, littéralement, «nom dérivé du prénom du père», ou nom de famille en général).[11]
Le Château Saint-Ange (source: Wikipedia) et le Mont Saint-Michel (source: Wikipedia).
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Mentionnons le pionnier Adrien Michelon, époux de Geneviève Laurence. Celle-ci figurait autrefois dans la liste des «Filles du Roy», mais elle en fut retirée en 2013 faute d’information (a-t-elle marié Adrien en France ou en Nouvelle-France?). Le couple fait baptiser un enfant le 4 octobre 1665 à l’église Notre-Dame de Québec (acte de baptême sur FamilySearch).[12] Le couple est recensé à Charlesbourg en 1666. Geneviève Laurence, veuve d’Adrien Michelon et épouse de Jean Journet (depuis le 9 septembre 1681), réside dans la haute ville de Québec, lors du recensement de 1681. Bien que deux fils d’Adrien Michelon se marieront (Jean et Jacques), le patronyme Michelon ne survivra pas via les lignées masculines.
[Le dictionnaire de René Jetté attribue le surnom «Lorange» à l’un des fils d’Adrien: Jean Michelon dit Lorange (1669-1724).[13] Il s’agit probablement d’une erreur, car on ne trouve aucune trace de ce surnom dans la lignée d’Adrien, en faisant une recherche dans le PRDH (banque de données généalogiques du Québec ancien) ou dans Parchemin (banque de données notariales). Peut-être y a-t-il eu confusion avec Jean Cluseau dit Lorange (1666-1733), qui vécut également dans la ville de Québec à la même époque (voir plus bas); ou encore une association (erronée) avec la lignée Michelon de mon ancêtre.]
Zone géographique d’origine
La commune d’Irigny appartenait à l’ancienne province du Lyonnais, ensuite au département du Rhône jusqu’au 1er janvier 2015, date à laquelle elle fut incorporée à la métropole de Lyon.
La ville de Lyon s’est constituée au confluent du Rhône et de la Saône. Elle est ainsi décrite sur Wikipédia:
Lyon est en situation de carrefour géographique du pays, au nord du couloir naturel de la vallée du Rhône (qui s’étend de Lyon à Marseille). Située entre le Massif central à l’ouest et le massif alpin à l’est, la ville de Lyon occupe une position stratégique dans la circulation nord-sud en Europe. Ancienne capitale des Gaules du temps de l’Empire romain, Lyon est le siège d’un archevêché dont le titulaire porte le titre de primat des Gaules. Lyon devint une ville très commerçante et une place financière de premier ordre à la Renaissance. Sa prospérité économique a été portée successivement par la soierie, puis par l’apparition des industries notamment textiles, chimiques, et plus récemment, par l’industrie de l’image.
[Marseille et Lyon sont les deuxième et troisième plus grandes villes de France, après Paris. Le Rhône prend sa source dans les Alpes suisses, traverse le lac Léman et arrose Genève; il reçoit les eaux de la Saône à Lyon et bifurque vers le sud en direction de la mer Méditerranée.]


Lyon est christianisée dès le IIe siècle, comme on peut le lire encore sur Wikipédia:
Cité capitale de la Gaule romaine depuis Auguste et à la croisée des chemins du monde romain, Lugdunum accueille dès le IIe siècle les doctrines chrétiennes rapportées d’Asie mineure. Une petite communauté se structure autour d’un premier évêque saint Pothin vers 150. Chronologiquement l’évêché est le premier de la Gaule et par extension de la France actuelle et l’un des premiers de la partie occidentale de l’empire romain après Rome.
Par le second évêque, saint Irénée venu de Smyrne et disciple de saint Polycarpe lui-même disciple de saint Jean l’évangéliste, les évêques de Lyon se placent directement dans la lignée des premiers apôtres.
[Le toponyme «Irigny» se rattacherait, étymologiquement, à saint Irénée.]
Deux conciles oecuméniques se réunirent à Lyon (en 1245 et 1274). Lyon produisit le 185e pape, le bienheureux Innocent V, en la personne de son archevêque Pierre de Tarentaise (1224-1276), de l’Ordre des Frères Prêcheurs (dominicains). Il ne régna que 5 mois et 1 jour sur le trône de saint Pierre (du 21 janvier au 22 juin 1276). Il correspond à la 24e devise de la Prophétie des Papes de saint Malachie: CONCIONATOR GALLUS («Le prédicateur français»).[14] À titre d’archevêque de Lyon, Pierre de Tarentaise joua un rôle majeur au deuxième concile de Lyon, convoqué par le bienheureux Grégoire X.[15] Saint Thomas d’Aquin («le docteur angélique») avait été convoqué au concile, mais il mourut le 7 mars 1274, à l’abbaye de Fossanova, en chemin vers Lyon. Saint Bonaventure («le docteur séraphique») fut présent aux quatre premières sessions du concile, mais il mourut à Lyon dans la nuit du 14 au 15 juillet 1274. Pierre de Tarentaise prononça l’oraison funèbre de ce dernier.[16]
Beaucoup plus tard, un autre illustre archevêque de Lyon, le Cardinal Albert Decourtray (1923-1994), accordera l’imprimatur à la Prière de la Dame de tous les Peuples, sans altération, en toute simplicité, le 25 mars 1994. Le 8 septembre de la même année, le Cardinal Decourtray donnait son autorisation pour la supplique en faveur de la récitation «en Église» de la Prière de la Dame de tous les Peuples et de la proclamation du dogme de Marie Co-Rédemptrice, Médiatrice et Avocate. Le 16 septembre suivant, l’homme de Dieu mourut des suites d’une hémorragie cérébrale.
Contrôle militaire du 6 septembre 1749: apparition du nom de guerre
On retrouve l’ancêtre protagoniste dans un contrôle militaire, c’est-à-dire une liste ou un registre énumérant soldats et officiers, où l’on peut trouver des informations sur l’état civil (prénom, patronyme, nom de guerre ou surnom, lieu de naissance, âge, nom des parents), l’état social (éducation, profession), le signalement ou description de l’aspect physique (par exemple la taille ou la couleur des cheveux), la carrière militaire (date d’engagement, grade).
Les contrôles de troupes sont nés avec le souci non seulement d’être informé de la situation exacte de celles-ci, mais encore, quand il s’agit d’armées soldées, de surveiller l’emploi des fonds qui leur sont attribués.[17]
Le deuxième bataillon du régiment de Royal-Roussillon a été contrôlé le 6 septembre 1749 à Strasbourg.[18] Les nouvelles recrues arrivées après cette date ont été ajoutées à la suite des autres soldats. C’est ainsi qu’on y retrouve Michel Michelon (écrit avec un «e» pour la première fois), enrôlé le 26 octobre 1750, comme simple soldat d’infanterie dans le régiment de Royal-Roussillon, dans la compagnie de Rombies (le capitaine Antoine de Rombies). C’est dans ce contrôle que le nom de guerre ou surnom de Michel Michelon apparaît pour la première fois: Lorange.

Dans l’armée française, les soldats réguliers se voient attribuer un nom de guerre (surnom militaire) par le capitaine de leur compagnie, sans exclure la possibilité d’un choix ou d’une suggestion par le soldat lui-même. Les noms de guerre font office de numéros matricules (l’apparition de ces derniers feront disparaître les noms de guerre).[19]
Conformément à l’acte de baptême, on indique qu’il est le fils de Louis Michelon et de Clémence Boyet (Buyet), et qu’il est natif d’Irigny, «à deux lieues de Lyon».[20] On le présente comme «âgé de 18 ans».[21] La taille indiquée est de 5 pieds, 2 pouces et 2 lignes.[22]
[On remarque, sur la même page du contrôle, la présence d’Antoine Cocher dit Latendresse (26 ans) et son frère Jean-Charles Cocher dit Deslauriers (18 ans), tous deux enrôlés le 8 février 1750. Ils sont natifs de Villers-Pol (juridiction du Quesnoy), province de Hainaut (département actuel du Nord). Seul Antoine sera envoyé en Nouvelle-France. Il sera témoin au premier mariage de Michel Michelon dit Lorange.]
À partir de février 2020, les registres de contrôles de troupes d’Ancien Régime, conservés au château de Vincennes (Service historique de la Défense), ont été mis en ligne sur le site Mémoire des Hommes, du Ministère des Armées en France. Ces registres sont la seule source qui permet de retracer le service d’un simple soldat ou d’un sous-officier, entre 1683 et 1793. Dans la section «registres matricules», on peut faire une recherche: dans le menu déroulant «Unité», sélectionner «Régiment d’infanterie Royal Roussillon» et choisir la cote GR 1 Yc 893. Je mets ci-dessous les six images correspondant à la compagnie de Rombies (images 0014 à 0019, la première image étant 0000).
Origine et signification de «Lorange»
Environ 200 km au sud de Lyon et 120 km au nord de Marseille, se trouve la ville d’Orange, située en Provence (aujourd’hui département de Vaucluse), dans la vallée du Rhône.
La position d’Orange, à un carrefour de passages pour le nord, l’Espagne ou l’Italie, niché au coeur d’une riche région agricole, en a fait un emplacement de choix pour les Romains desquels on trouve de nombreux vestiges, principalement autour de la colline Saint-Eutrope et de l’ancien théâtre. Au Moyen Âge, la ville devient la capitale de la principauté d’Orange et le restera jusqu’à son annexion par la France, officialisée dans les traités d’Utrecht en 1713. [Wikipédia]
La principauté d’Orange était presque entièrement enclavée dans le Comtat Venaissin qui fit partie des États pontificaux de 1274 à 1791. En 1348, le Pape Clément VI (1342-1352)[23] acheta la cité-État d’Avignon, qui demeurera possession papale également jusqu’en 1791. Avignon fut la résidence des papes de 1309 à 1378.
La Principauté d’Orange (en rose à droite) et le Comtat Venaissin.
Carte 1: Wikipedia.
Carte 2: Wikipedia.
[Sur les cartes, le nord est en bas: ainsi la Méditerranée se trouve en haut. On peut agrandir les cartes en cliquant dessus; puis, en cliquant à droite de la souris, choisir «afficher l’image».]
Le célèbre Pont d’Avignon sur le Rhône (source: Wikipedia)
et l’imposant Palais des Papes (source: Wikipedia).
Le toponyme de la ville d’Orange est attesté dans l’Antiquité sous les formes Arausio, Arausion, Arausione (Ier-IVe siècles). Au Moyen Âge, on rapporte Aurasica, Aurasicensis (la permutation de Arau- en Aura- devient prévalente), évoluant par la suite en Aurenga, Orenga et finalement Orenge.
Le nom de cette localité et le nom qui désigne le fruit homonyme semblent s’être mutuellement influencés dans l’histoire de leur évolution.
Le nom de l’arbre («oranger») ou du fruit («orange») provient de l’arabe نارنج (naranj), emprunté du persan نارنگ (narang), lui-même emprunté du sanskrit नारङ्ग (naranga). La particule nar- pourrait signifier «parfum» (comme dans le mot «nard»). Il est devenu naranja en espagnol, laranja en portugais et arancia en italien. Ce dernier a perdu le «n» initial par déglutination (au lieu d’avoir «una narancia», nous avons «un’ arancia»). Ce «n» initial est aussi absent en français, sous l’influence de l’italien. Le «o» initial en français («orange») a remplacé le «a» initial en italien (arancia), probablement sous l’influence de la ville d’Orange. Nous avons vu que le nom de la ville est passé de Arau-, à Aura-, à Or-, sans exclure l’influence de l’or-métal (aurum en latin) et de la couleur or ou dorée (auratus). La couleur de l’orange-fruit, entre le rouge et le jaune, peut aussi être qualifiée d’un jaune doré.
L’or, le plus noble des métaux, peut symboliser l’amour et l’âme purifiée,
tel cet or en fusion (source: Wikipedia);
il peut aussi corrompre l’esprit, s’il est thésaurisé pour lui-même.
Les colliers des ordres royaux de France étaient d’or; non que cela fît plus «riche», mais parce que l’or est le métal du soleil et le soleil l’emblème visible, l’arcane essentiel et l’image excellente de Dieu; et que, donc, était condensée en ce symbole la vérité de la Monarchie de droit divin qui tenait son pouvoir de l’Absolu. [Raoul Auclair, Le Crépuscule des Nations, p. 158]
Finalement, «Orenge» (la ville) ou «orenge» (l’arbre ou le fruit) perdra le «e» au profit du «a», de nouveau sous l’influence de l’italien arancia (le mot «orange» dans sa forme actuelle étant d’abord attesté dans une traduction de l’italien en 1515), tout en étant un rappel du «a» de Aurasica.
L’oranger (Citrus sinensis) est originaire de Chine. On peut distinguer deux grandes routes de pénétration de ce fruit en Europe. La route méditerranéenne fut empruntée, à l’époque des croisades (XIe siècle-XIIIe siècle), par l’orange amère ou bigarade: transmis par les Perses aux Arabes, ce fruit fut implanté en Andalousie, Sicile et Pays valencien, d’où il se diffusa vers le reste de l’Europe. Dans un second temps, à la fin du XVe siècle, les navigateurs portugais découvrirent l’orange douce en Chine et dans l’île de Ceylan, et la rapportèrent en Europe; son succès finit par évincer l’orange amère. Jusqu’à la première moitié du XXe siècle, l’orange était un fruit de luxe /…/. [Wikipédia]
Source: Wikipedia.
Anciennement, le mot «orange» désignait l’arbre (aujourd’hui «oranger»). C’est ainsi que le fruit était appelé «pomme d’orange» (calque de l’italien melarancia, où mela signifie pomme). La signification d’arbre se retrouve également dans la locution «fleur d’orange».
«Fleurs d’orange» et «pommes d’orange»
(source: Wikipedia).
C’est le fruit qui a donné son nom à la couleur, et non l’inverse. Initialement, on parlait de la «couleur d’orange». Ensuite, par ellipse, est apparu l’adjectif invariable «orange» («de couleur d’orange»), attesté en 1553; de même que le substantif masculin l’«orange» («la couleur d’orange»).
/…/ les chastaigniers sont en Perigord, à cent lieues des Orangers, qui sont en Provence, et les pommiers sont au pays de Caux en Normandie, à cent lieues des Chastaigniers, et à deux cens des Oliuiers. [Relations des Jésuites, Relation de 1611, chapitre III «Des terres, de leurs peuples et de ce qui abonde», pp. 6-7]
Dieu a donné aux païs chauds les rafraischissemens nécessaires, et en ces regions froides, les ours, les orignaux, les castors et le porc-espic, ce sont une nourriture qui vaut bien les figues et les oranges, pour fortifier l’estomach en ces contrées. [Relations des Jésuites, Relation de 1672, chapitre VI, p. 54]
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De Lisbonne à Fatima, le décor est enchanteur. Au Portugal, le paysage est merveilleux. /…/
Nous cheminons en contournant les montagnes, frôlant les précipices; la route est bordée de pins parasols qui forment une sorte de marquise de verdure qui, en été, préserve les voyageurs des ardeurs du soleil. Parfois, d’humbles maisons disparaissent sous la majesté d’un palmier. Que de beautés! Les arbres fruitiers donnent leurs fruits en abondance: orangers, pamplemoussiers, citronniers, vignes, oliviers et tous ces arbustes décoratifs: cactus, eucalyptus, etc.[24]
Deux orangers dans la ville de Lisbonne, au Portugal
(photos prises par une amie, lors d’un récent voyage).
Ainsi, la ville d’Orange a donc ceci de particulier d’être une ville européenne portant le nom d’un fruit asiatique. Que l’on me permette un brin d’humour. Les orangeraies de la principauté d’Orange ou de la Provence en général produisaient-elles une variété particulièrement délicieuse de ce fruit aux couleurs de soleil et de feu? Si oui, cela pourrait expliquer le grand attachement des papes du XIVe siècle à la cité-État d’Avignon et leur extrême réticence à faire retour vers Rome…
Armoiries de la ville d’Orange
d’azur, à la branche d’oranger feuillée de sinople, chargée de trois oranges d’or,
au chef d’or chargé d’un cornet d’azur virolé et lié de gueules
«Je maintiendrai»
(blasonnement et devise)
Après avoir écrit les lignes qui précèdent, je terminais la lecture d’une courte biographie de sainte Catherine de Sienne (1347-1380), dans la collection «Nos amis les saints» (Paris, Téqui, 1979). Je laisse à l’auteure, Andrée Bourçois-Macé, le soin de rapporter une anecdote charmante et succulente (qui confirme jusqu’au lien entre l’or et l’orange):
En décembre 1378, la Sainte, qui a dicté peu auparavant le sublime «Dialogue», a préparé un cadeau de Noël pour le Saint-Père: Urbain VI, dont elle est le meilleur soutien contre l’antipape, et le conseiller le plus écouté. Or, ce cadeau, très féminin, consiste en cinq oranges qu’elle a confites, puis artistement recouvertes de minces feuilles d’or. Cet or, du reste, n’avait guère plus de valeur que les fruits, à une époque où l’Italie commençait à peine à profiter de l’initiative de l’Espagnol Saint Dominique, plantant les premiers orangers de la péninsule dans le verger du couvent de Santa Sabina. [p. 72]
Les oranges de Catherine étaient sans doute des bigarades (oranges amères), l’orange douce n’étant pas encore arrivée en Europe. Ce «cadeau de Noël» s’accompagnait d’une lettre de Catherine au Saint-Père, le bouillant et violent Urbain VI, en qui la Siennoise voyait pourtant le «doux Christ de la terre». Cette «douceur» est produite en nous par «l’eau de la grâce» et «le feu de l’amour».
Soyez un arbre d’amour enté sur l’arbre de vie, le Christ, le doux Jésus. De cet arbre naîtra la pensée des vertus comme une fleur dans votre volonté, et son fruit mûrira dans la faim de l’honneur de Dieu et du salut de vos brebis.
Ce fruit d’abord semble amer lorsqu’on le prend avec la bouche du saint désir; mais comme l’âme est décidée à souffrir jusqu’à la mort pour Jésus crucifié et pour l’amour de la vertu, il devient vraiment doux. J’ai remarqué souvent cela pour l’orange, qui paraît amère et forte; lorsqu’on retire ce qui est dedans et qu’on la met à confire afin que l’eau en ôte l’amertume, elle se remplit de choses fortifiantes, et elle se couvre d’or à l’extérieur. Où est allée l’amertume, qui était dans le principe désagréable à la bouche de l’homme? Dans l’eau et dans le feu. Il en est de même, très saint Père, pour l’âme qui conçoit l’amour de la vertu. [lettre XIX, décembre 1378]
[Nous pourrions imaginer bien des idées de cadeaux à base d’orange, que ce soit en confiserie, en liquoristerie ou en parfumerie.]
[Urbain VI (Bartolomeo di Prignano) correspond à la 45e devise DE INFERNO PRAEGNANTI («De l’enfer de Prignano»). Il serait natif du lieu-dit «l’Enfer», dans le royaume de Naples, favorisant un jeu de mots avec son tempérament explosif.]
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À la lumière de ce qui précède, nous pouvons comprendre que le patronyme «Lorange» équivaut sémantiquement au patronyme «Loranger». Tous les deux ont été utilisés comme noms de guerre et appartiennent donc à la catégorie de noms d’arbres.[25] Selon l’article déjà cité de Luc Lépine (cf. note 19), le nom de guerre «Lorange» a été porté par 282 soldats dans les registres d’immatriculation de l’hôtel des Invalides, à Paris (revue Mémoires, cahier 257, p. 55). Il serait intéressant d’établir la répartition géographique de ces soldats, selon leur lieu d’origine. Parmi les soldats français venus en Nouvelle-France, j’en ai recensé neuf ayant porter le nom de guerre «L’Orange», «Lorange» ou «Loranger». J’indique entre crochets le lieu d’origine (département actuel).
Régiment Carignan-Salières (environ 1300 hommes débarqués à Québec durant l’été 1665, afin de combattre les Iroquois qui menaçaient la colonie)
- Louis Dauvernier dit L’Orange (dates incertaines) (compagnie de Froment) [?]
- Jacques Gauthier dit L’Orange (dates incertaines) (compagnie de Laubias) [province du Poitou]
- Noël Laurence dit L’Orange (1647-1687) (compagnie de La Fouille) [Seine-Maritime]
Guerre de la Conquête (1754-1763)
- Jean Barbau dit Lorange (1734-1756) (régiment de Bourgogne, compagnie de Langlade) [Gard]
- François-Nicolas Guillemat dit Loranger / Lorange (1728-1798) (régiment de La Sarre, compagnie de Palmarolle) [Pyrénées-Orientales]
- Jean Leboucher dit Loranger / Lorange (1705-1757) (régiment de La Reine, compagnie de Pascalis) [Calvados]
- Michel Michelon dit Lorange (1730-1810) (régiment de Royal-Roussillon, compagnie de Valette) [Rhône]
- Jean-Joseph Muret dit Lorange (1728-?) (régiment de Bourgogne, compagnie de Maille) [Vaucluse]
- Guillaume Roch dit Lagrenade / Lorange (1728-1760) (régiment de La Sarre, compagnie de Palmarolle) [Aude]
Le soldat 4 est décédé à Louisbourg en 1756; le soldat 6 est décédé au Fort Carillon en 1757; le soldat 9 est décédé à l’Hôpital Général de Québec en 1760. Ce dernier s’est marié mais son unique enfant est mort en bas âge. Le soldat 8 est retourné en France après la guerre. De ces neuf soldats, seuls les numéros 3, 5 et 7 se sont mariés et ont fait souche en Amérique du Nord. Noël Laurence ne semble pas avoir transmis son nom de guerre, mais seulement son patronyme. François-Nicolas Guillemat a transmis son patronyme et son nom de guerre (sous la forme «Loranger»), mais ceux-ci ne semblent pas avoir survécu jusqu’à nous.
J’ai également trouvé quatre soldats avec le nom de guerre «Fleur-d’Orange» (un nom de fleur, les fleurs d’oranger étant de couleur blanche).[26] Deux sont retournés en France après la guerre (les numéros 10 et 13) et deux se sont mariés au Canada (les numéros 11 et 12). Benoît-Joseph Carpillet a transmis son patronyme et son nom de guerre, mais ceux-ci ne semblent pas avoir survécu jusqu’à nous. Joseph Ricard n’a pas eu de descendance.
- Jean-Pierre Bize dit Fleur-d’Orange (1737-?) (régiment de La Sarre, compagnie de Champredon) [Tarn]
- Benoît-Joseph Carpillet dit Fleur-d’Orange (1723-1799) (régiment de La Sarre, compagnie de Celles) [Indre-et-Loire]
- Joseph Ricard dit Fleur-d’Orange (1738-1798) (régiment de La Sarre, compagnie de Vilard) [Vaucluse]
- Marc Touron dit Fleur-d’Orange (1733-?) (régiment de La Sarre, compagnie de Mauran) [Gers]
Les contrôles militaires décrivent les soldats 5, 9 et 11 comme ayant les cheveux châtain brun (la couleur des cheveux n’est pas indiquée pour les autres). Selon Wikipédia, le châtain est la couleur de cheveux la plus commune en France.
Dans les treize cas ci-haut rapportés, aucun n’est originaire de la ville ou de la principauté d’Orange (bien que deux soient originaires de l’actuel département de Vaucluse). Tout au plus pourrait-on noter que huit cas sur treize (incluant Michel Michelon) proviennent de la France méridionale, où sont cultivés les orangers. L’attribution du nom de guerre «Lorange» ou «Loranger» ne peut s’expliquer par une caractéristique physique qui rappellerait la couleur orange, et encore moins par un attrait gastronomique tout à fait compréhensible envers ce fruit. Un nom d’arbre ou de fleur, dans le cadre de l’armée, n’implique pas que le militaire pratiquait l’arboriculture ou la floriculture avant son engagement. L’attribution de ce type de nom, en lien avec des militaires, ne suit pas forcément de règles logiques (sauf peut-être un jeu de mots dans le cas de Noël Laurence dit L’Orange). Les noms de fleurs et d’arbres fruitiers évoquent poétiquement la douceur et la délicatesse (par ironie envers les manières généralement plus rudes des soldats). Les noms d’arbres plus robustes pourraient évoquer la force et la vigueur (présente ou manquante chez le soldat).
Il reste trois autres cas de pionniers à considérer, lesquels ont transmis leur patronyme et leur surnom. Mentionnons d’abord le cas de deux frères Rivard venus s’établir en Nouvelle-France:
- Nicolas Rivard dit Lavigne (1617-1701) [Orne]
- Robert Rivard dit Loranger (1638-1699) [Orne]
Le site de Généalogie du Québec et d’Amérique française (www.nosorigines.qc.ca) présente Nicolas comme un capitaine de milice et Robert comme un coureur des bois. En fondant famille tous les deux dans la région de Batiscan, les deux frères ont pu vouloir se distinguer en choisissant un surnom, dans ce cas-ci deux noms d’arbres fruitiers. Ils n’ont pas reçu un nom de guerre à titre de soldats de l’armée régulière. Le phénomène des surnoms, typique de l’armée, s’est retrouvé aussi chez les civils.
- Jean Cluseau dit Lorange (1666-1733) [Dordogne]
Le même site web présente ce dernier comme un «soldat de la garnison de Québec», occupant la fonction de «tambour-major». Son surnom serait donc un nom de guerre. Son acte de sépulture se trouve dans les registres de l’Hôtel-Dieu de Québec, où il est entré le 27 octobre 1733. Il y est décédé le 7 novembre suivant et a été inhumé le lendemain «dans le cimetière des pauvres». L’acte précise qu’il était «ancien tambour des troupes». Le surnom «Lorange», absent dans l’acte de mariage (6 septembre 1694, paroisse Notre-Dame, Québec), est présent dans l’acte de sépulture.
- Joseph Després dit Lorange (1718-1785) [Vaucluse]
L’acte de mariage (19 novembre 1753, paroisse Notre-Dame-de-la-Visitation, Champlain) ne contient pas le surnom «Lorange». Par contre, détail hautement intéressant, il nous révèle que Joseph Després est originaire de la «principauté d’Orange en Dauphiné». L’acte de sépulture mentionne le surnom «Lorange». De manière amusante, l’épouse se nomme Marie «Leroux» (on ne pouvait trouver meilleur parti pour un «Lorange»). En faisant une recherche dans le PRDH, la première mention du surnom Lorange (en lien avec Joseph Després) apparaît le 22 septembre 1755, dans un acte de sépulture d’enfant mort en bas âge (sous la forme «Laurange»).
Dans le cadre de la guerre de la Conquête, les premières troupes furent envoyées de France durant l’été 1755. À cette occasion, se pourrait-il que Joseph Després se soit senti poussé à adopter un surnom militaire (en l’occurrence un nom d’arbre), tout en honorant son lieu d’origine (la principauté d’Orange) et en se laissant subtilement inspirer par le patronyme de son épouse (Leroux)? Joseph Després dit Lorange ne semble pas avoir eu de carrière militaire.
En résumant, nous pourrions dire que les Lorange d’aujourd’hui se rattacheraient soit à Jean Cluseau, soit à Joseph Després, soit à Michel Michelon. Tandis que les Loranger remonteraient probablement tous à Robert Rivard.
Il faudrait voir si les Michelon qui subsistent aujourd’hui en Amérique du Nord remontent tous à Michel Michelon, leur lignée ayant dans ce cas abandonné le surnom Lorange au profit du patronyme originel.
Dans ma lignée paternelle, le patronyme Michelon associé au nom de guerre Lorange (surnom ou «nom dit») s’est transmis jusqu’à mon trisaïeul[27] François-Xavier Lorange. Ce dernier est baptisé (1845) sous le nom de Michelon dit Lorange, mais seul Lorange apparaît lors de son mariage avec Justine Dubuc (1878) et lors de sa sépulture (1915). Les descendants de François-Xavier ne retiendront que Lorange pour patronyme.

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Avant d’entreprendre le voyage transatlantique de Michel Michelon, citons un dernier détail intéressant. Le Journal des Jésuites, pour l’année 1667, fait mention d’un bateau nommé l’Oranger arrivant à Québec:
1er juillet: «l’arrivée du navire dit l’Oranger.»
29 juillet: «deux vaisseaux arrivent, l’Oranger & le St. Philippe.»
Liste d’embarquement du 29 mars 1756: dans le tourbillon du premier conflit mondial
La guerre de Sept Ans (1756-1763) constitue le premier conflit à l’échelle mondiale. Les forces en présence opposent une coalition de pays alliés à la Grande-Bretagne à une autre formée de pays alliés à la France. On peut réellement parler d’une guerre mondiale puisque les batailles se déroulent aussi bien en Europe qu’en Amérique du Nord, aux Philippines et aux Indes. Ce conflit entraîne la mort de plus d’un million d’individus. [Combattre pour la France en Amérique, p. 13]
À la veille de la guerre de Sept Ans, en 1756, les effectifs de l’armée française sont composés de 114 régiments de troupes de Terre répartis en 398 bataillons qui portent en général les noms de provinces ou de régions de France. L’armée totalise environ 200 000 hommes. Parmi ceux-ci, 13 bataillons ont servi en Nouvelle-France avec un total de près de 8000 hommes. [Combattre pour la France en Amérique, p. 51]
La guerre de la Conquête (1754-1763) est le nom donné au théâtre militaire nord-américain avant et pendant la guerre de Sept Ans. Aux États-Unis, on désigne fréquemment ce conflit sous l’appellation de French and Indian War («guerre contre les Français et les Indiens»). Elle voit s’affronter les Français, leurs milices de la Nouvelle-France et leurs alliés amérindiens d’un côté, et les Britanniques, leurs milices américaines et leurs alliés iroquois de l’autre, pour la domination coloniale de l’Amérique du Nord. Les hostilités commencent en 1754, deux ans avant le déclenchement de la guerre de Sept Ans en Europe, lors d’accrochages dans la vallée de l’Ohio. [Wikipédia]
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Nous retrouvons Michel dans un autre contrôle, cette fois-ci une liste ou état d’embarquement, fait au port de Brest (province de Bretagne, aujourd’hui département du Finistère) le 29 mars 1756. Il est inscrit sous le nom de Michel Michelau dit Lorange, comme ayant 20 ans (âge réel: 26 ans, 1 mois et 2 jours) et mesurant 5 pieds (1624,220 mm) et 4 pouces (108,281 mm), soit un total de 173,250 cm ou 5 pieds 8¼ pouces selon le système impérial actuel (soit 5 cm ou 2 pouces de plus que la mesure enregistrée dans le contrôle de 1749).
Michel appartient toujours au deuxième bataillon du régiment de Royal-Roussillon, sous le haut commandement du lieutenant-colonnel Félicien de Bernetz et de l’aide-major Guillaume Léonard de Bellecombe. Il n’est plus dans la compagnie de Rombies, mais dans la compagnie de Valette (le capitaine Jean Valette). Ce dernier est assisté du lieutenant Étienne-Guillaume de Beaumevieille. Outre ces deux officiers, la compagnie est composée de 2 sergents, 3 caporaux, 3 anspessades, 31 fusiliers et 1 tambour. Michel est l’un des fusiliers. L’ensemble du bataillon est composé de 12 compagnies de fusiliers et 1 compagnie de grenadiers (soldats d’élite).[28]
Composition de la compagnie de Valette, lors de l’embarquement à Brest.
Source: BAnQ, Québec (Pavillon Louis-Jacques-Casault), 2015, cote Xb 68, pp. 37-41.
Le 3 avril 1756, les hauts gradés des troupes de Terre quittent le port de Brest à bord de trois frégates (chacune comportant 30 canons): la Licorne (Montcalm, Bougainville et d’Estèves), la Sirène (Bourlamaque, Marcel et Desandrouins) et la Sauvage (Lévis, Laroche-Beaucourt, Fontbrune, Lombard de Combles). Le 11 mars précédant, Montcalm venait d’être nommé maréchal de camp afin de commander les troupes françaises en Amérique du Nord, en remplacement de Dieskau qui a été blessé et fait prisonnier. Le marquis de Montcalm et le marquis de Vaudreuil (dernier gouverneur général de la Nouvelle-France) seront en relation de conflit dans l’exercice du commandement.
Le 6 avril 1756, rejoignant la haute hiérarchie, trois vaisseaux emportent les deuxièmes bataillons des régiments de La Sarre[29] et de Royal-Roussillon:[30] le Héros (catégorie «74 canons», réduits à 46), l’Illustre (catégorie «64 canons», réduits à 22) et le Léopard (catégorie «62 canons», réduits à 22). Cette flotte de six bâtiments (trois frégates et trois vaisseaux) débarque à Québec entre le 13 et le 31 mai 1756.[31] Notre protagoniste Michel Michelon dit Lorange se trouve à bord de l’Illustre, sous les ordres du capitaine de Montalais. La traversée s’est déroulée sans encombre.
L’Illustre a été construit en 1749 et lancé en 1750. Il participa à de nombreuses actions lors de la guerre de Sept Ans et fut retiré du service en 1761. Déjà en mai 1755, il avait pour mission de transporter neuf compagnies du régiment de Guyenne en Nouvelle-France. Normalement armé de 64 canons, le vaisseau a été «armé ou réduit en flûte» à cette occasion, c’est-à-dire transformé en navire de charge pour le transport de troupes et de matériel (munitions, vivres). Le bâtiment ne conserve alors que sa batterie haute de petit calibre (dans ce cas-ci 22 canons), les batteries basses et lourdes lui ayant été retirées.
Dans le cadre de la guerre de la Conquête, le deuxième bataillon du régiment de Royal-Roussillon prit part aux batailles suivantes:[32]
- bataille de Fort William Henry (3 au 9 août 1757);
- bataille de Fort Carillon (8 juillet 1758);
- bataille de Fort Niagara (6 au 26 juillet 1759);
- bataille de Beauport ou de Montmorency (31 juillet 1759);
- bataille des Plaines d’Abraham (13 septembre 1759);
- bataille de Sainte-Foy (28 avril 1760);
- capitulation de Montréal (8 septembre 1760).

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Le 21 mai 2015, en compagnie d’un de mes confrères prêtres, j’ai eu le privilège de visiter le cimetière de l’Hôpital-Général de Québec. C’est ce jour-là également que je suis allé consulter, au campus de l’Université Laval, la série Xb 68, contenant la liste d’embarquement à Brest du deuxième bataillon du régiment de Royal-Roussillon. Sur l’un des panneaux explicatifs du cimetière, on peut lire ceci:
Au XVIIIe siècle, il est pratique courante d’enterrer sur place les morts des champs de bataille en creusant d’énormes fosses ou en utilisant les ravins dans lesquels on entasse les cadavres. C’est probablement le sort qu’ont connu les soldats tombés au combat le 13 septembre 1759 et le 28 avril 1760. Mais les blessés de ces deux grandes batailles sont conduits à l’Hôpital-Général de Québec; ceux qui y décèdent par la suite sont inhumés au cimetière dans des fosses communes. L’inhumation et la commémoration individuelles, telles que nous les connaissons aujourd’hui, ne se généraliseront qu’au siècle suivant.
Le cimetière de l’Hôpital-Général de Québec est l’unique témoin de la guerre de Sept Ans. Ce singulier cimetière renferme la plus importante concentation connue de chevaliers de Saint-Louis, la plus haute distinction militaire française de l’Ancien Régime. Dix-sept chevaliers y reposent. Depuis l’automne 2001, Montcalm est le dix-huitième, ses restes ayant été transférés de la chapelle des Ursulines au cimetière. Tous les régiments français ayant participé à la défense de Québec sont ici représentés. Séparés dans la vie, unis dans la mort, aristocrates et gens du peuple, officiers et simples soldats y dorment côte à côte.
Au coeur du cimetière, se trouve le mausolée de Montcalm, qui repose maintenant dans un sarcophage de granit marqué de son initiale. À l’intérieur du mausolée, sur le mur du fond, sont arborés les drapeaux des cinq régiments présents lors de la bataille des Plaines d’Abraham (13 septembre 1759), celle où fut mortellement blessé le marquis de Montcalm. En commençant en haut, au centre, et suivant les aiguilles d’une montre, sont représentés les régiments de Royal-Roussillon, de Béarn, de Guyenne, de La Sarre et de Languedoc.
Sur la plaque commémorative à l’extérieur du mausolée, figure l’inscription suivante:
À LOUIS-JOSEPH
MARQUIS DE MONTCALM
1712-1759
Commandant des forces françaises
en Amérique pendant la guerre de Sept Ans,
le lieutenant-général Louis-Joseph marquis de Montcalm
succomba le 14 septembre 1759 aux blessures reçues
la veille à la bataille des Plaines d’Abraham.
Sa dépouille fut inhumée le soir même dans
la chapelle du monastère des Ursulines de Québec.
Le 11 octobre 2001, les restes de Montcalm
furent solennellement transférés dans ce mausolée.
Il repose désormais auprès de ses soldats
tombés avec lui devant Québec
pour la défense de la Nouvelle-France.
Le 28 juillet 2015, les circonstances ont favorisé un autre pèlerinage historique qui restera à jamais gravé dans ma mémoire: la visite du Fort William Henry, au sud du lac George (que le saint missionnaire Isaac Jogues avait appelé lac Saint-Sacrement); et celle du Fort Ticonderoga, appelé Fort Carillon de 1755 à 1759, à l’extrémité sud du lac Champlain. En 1677, lorsqu’elle s’évada de son village en direction du Canada, Kateri Tekakwitha navigua en canot (canoë) sur les eaux du lac Saint-Sacrement, du lac Champlain et de la rivière Richelieu (autrefois appelée la rivière des Iroquois puis la rivière Chambly), jusqu’à la hauteur du Fort Chambly.
Ce voyage à travers le temps qu’il m’a été donné de faire, dans l’actuel État de New York, parmi les monts Adirondacks, est l’un de ceux que je chéris le plus.




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La bataille de Fort William Henry a inspiré James Fenimore Cooper pour l’écriture de son roman Le Dernier des Mohicans, adapté plusieurs fois au cinéma. La plus récente adaptation cinématographique est le film de 1992, The Last of the Mohicans, réalisé par Micheal Mann. Avec Daniel Day-Lewis, Madeleine Stowe, Russell Means, Eric Schweig, Jodhi May, Steven Waddington, Wes Studi, Maurice Roëves, Patrice Chéreau.
Le film de fiction historique The Patriot (2000), du réalisateur Roland Emmerich, qui relate la guerre d’indépendance américaine («American Revolutionary War», 1775-1783), contient des références à la «French and Indian War». Avec Mel Gibson, Heath Ledger, Joely Richardson, Jason Isaacs, Chris Cooper, Tchéky Karyo, René Auberjonois, Lisa Brenner, Tom Wilkinson.

Qui prend femme prend pays
À la capitulation de la Nouvelle-France en septembre 1760, la totalité des officiers et la grande majorité des soldats durent rentrer en France sauf pour les soldats déjà mariés au pays qui pouvaient obtenir une dispense des autorités britanniques. Des 722 soldats mariés en Nouvelle-France (672 soldats et 50 recrues), 115 ont choisi de rentrer en France ou de s’établir dans une autre contrée souvent avec femme et enfants. [Combattre pour la France en Amérique, p. 94]
Michel Michelon dit Lorange fait donc partie des 607 (722 – 115) soldats qui ont pris femme et qui ont pris pays en Nouvelle-France.
Durant l’hiver, les campagnes militaires s’estompent. Les soldats se mêlent à la population civile, dans les endroits où leurs régiments sont stationnés. On note un taux plus élevé de nuptialité durant cette période. Voici les quartiers d’hiver du régiment de Royal-Roussillon durant la guerre de Sept Ans:[33]
- 1756-1757: Chambly, Rivière Chambly, Saint-Charles-sur-Richelieu et Saint-Antoine-sur-Richelieu
- 1757-1758: Boucherville, Contrecoeur, La Prairie, Longueuil, Varennes et Verchères
- 1758-1759: Boucherville, La Prairie, Longueuil, Varennes et Verchères
- 1759-1760: Boucherville et La Prairie
[La compagnie de Valette était en quartier à Contrecoeur, durant l’hiver 1757-1758; et à Verchères, durant l’hiver 1758-1759.]
Le 26 février 1759, à l’église Sainte-Trinité de Contrecoeur, Michel Michelon dit Lorange (qui aura 29 ans le lendemain) se marie avec Marguerite Jacques (environ 21 ans), veuve d’Alexis Hébert (décédé à 37 ans le 6 janvier 1758) et mère d’Alexis (4 ans, 4 mois et 3 jours) et de Marguerite (2 ans, 3 mois) Hébert. Les deux enfants parviendront à l’âge adulte et contracteront mariage. Les parents de Marguerite sont Nicolas Jacques et Marie-Joseph Tessier (3e lit de Nicolas).
Le contrat de mariage a été fait et passé la veille (25 février 1759) dans la maison du père de la fiancée, Nicolas Jacques, à Contrecoeur, devant le notaire Jacques Crevier-Duvernay.[34] Ce contrat est la première mention de Michel Michelon dit Lorange en Nouvelle-France. On peut supposer que Michel a rencontré Marguerite pour la première fois durant l’hiver 1757-1758. Les fréquentations ont pu même commencer peu de temps après le décès d’Alexis. Voici les témoins mentionnés dans le contrat et l’acte de mariage:
Témoins du côté de l’époux:
- Antoine Cocher (ou Coché) dit Latendresse (sergent au régiment de Royal-Roussillon, compagnie de Jean Valette)
- François Renaud (ou Regnault) dit Sanschagrin (soldat au régiment de Royal-Roussillon, compagnie de Jean Valette)
[Après la guerre, Antoine Cocher retourne en France en 1761. François Renaud, né en 1729, se marie le 9 janvier 1758 à Contrecoeur. Il tombe veuf en 1789 et ne se remarie pas. Il décède le 22 avril 1810, cinq jours après le décès de Michel Michelon, tous les deux à Contrecoeur. Son frère, Louis Renaud dit Tourangeau, soldat-grenadier au régiment de Royal-Roussillon, compagnie du capitaine François-Médard Poulharies, se marie le 4 avril 1758 à Contrecoeur, avec Marie-Jeanne Jacques. Cette dernière est veuve de François Mechin, fille de Nicolas Jacques (2e lit) et de Marie-Marguerite Allard, et soeur consanguine de Marguerite. Elle redevient veuve rapidement, car Louis meurt avant le 21 octobre 1760 au Québec.]
Note:
frère ou soeur consanguin(e) = même père, mais de mère différente
frère ou soeur utérin(e) = même mère, mais de père différent
frère ou soeur germain(e) = même père et même mère
Témoins du côté de l’épouse:
- Nicolas Jacques (père)
- Nicolas Jacques (frère consanguin, 2e lit) et son épouse Marie-Rose Desplaines (belle-soeur)
- Thomas Stanislas Jacques (frère germain)
- Marie-Anne Jacques (soeur germaine)
- Jacques Robert (ami)
- Pierre Noël dit Saint-Denis (soldat au régiment de Guyenne, compagnie de Vincent de Patrice)
- Gabriel Dupuy dit Dupuy (soldat au régiment de Guyenne, compagnie de Vincent de Patrice)
[La compagnie de Patrice était en quartier à Contrecoeur, durant l’hiver 1758-1759. Pierre Noël retourne en France en 1760. Admis à l’Hôtel des Invalides de Paris, il dit être incommodé à l’épaule gauche où il a reçu un coup de feu lors de la bataille des Plaines d’Abraham. Gabriel Dupuy se marie en 1769 à Lachenaie (aujourd’hui fusionnée avec Terrebonne) et meurt en 1780.]
Acte de mariage
de Michel Michelon [dit Lorange] et de Marguerite Jacques,
26 février 1759, paroisse Sainte-Trinité, Contrecoeur

L’an mil sept cent cinquante neuf, le vingt six février, vûs la permission
signée de Lévis et Vaudreuil et le certificat de liberté de mariage signé Mont-
golfier [Étienne Montgolfier], après la publication de trois bans faite au prône des messes de paroisse
par trois dimanches consécutifs, ne s’étant découvert aucun empêchement de maria-
ge entre Michel Michelon, soldat au régiment de Royal-Roussillon, compagnie
de Valette, fils de Michel [sic: Louis] Michelon et de Clémence [Buyet] Cordelier, ses père et mère
de la ville et archevêché de Lyon, paroisse d’Yrigni [Irigny], d’une part; et Marguerite
Jacques, veuve d’Alexis Hébert, fille de Nicolas Jacques et de feüe Josette Tessier, ses
père et mère de cette paroisse, d’autre part; nous soussigné curé, après avoir reçû
leur consentement mutuel par paroles de présent,[35] leur avons donné la béné-
diction nuptiale selon le rite de la Sainte Église romaine, en présence d’Antoine
Cocher et François Régnault, amis de l’époux; et de Nicolas, Thomas Jacques, frères,
de Jacques Robert et Pierre Noël, amis de l’épouse; l’époux et l’épouse ont déclaré ne
sçavoir signer; ont signé ceux qui le sçavent; signé:
[Antoine] Cochée [Cocher]
Pierre Noël
[Pierre Florent] Petit prêtre curé
Dans le contrat et l’acte de mariage, la mère de Michel se nomme Clémence Cordelier/Cordellier, plutôt que Clémence Buyet. Clémence est la fille de Pierre Buyet et de Marguerite Carrier. Son père était cordonnier. Ceci explique peut-être le patronyme attribué à Clémence lors du mariage de son fils Michel.
Michel et Marguerite ont une petite fille le 1er janvier 1760: Marie-Jeanne. Celle-ci meurt à 2 ans et 3 mois, le 1er avril 1762. La maman Marguerite elle-même meurt l’année suivante, à l’âge d’environ 25 ans; elle est inhumée à Contrecoeur, le 2 mars 1763. Nous n’avons pas son acte de baptême, qui eut lieu probablement à Charlesbourg, vers 1738.
Suite à la capitulation de Montréal (8 septembre 1760), un régime militaire britannique avait été instauré jusqu’à la signature du Traité de Paris (10 février 1763), qui met fin à la guerre de Sept Ans. Michel se marie de nouveau, le 8 novembre 1763, à l’église Sainte-Trinité de Contrecoeur. Il a maintenant 33 ans. L’épouse, qui a 20 ans, se nomme Marie-Renée ou Marie-Reine, fille de François Meunier dit Lapierre et de Marie-Antoine Giard. Marie-Renée est officiellement mineure, l’âge de la majorité à ce moment-là étant encore de 25 ans.[36] Elle avait perdu sa mère à 11 ans et son père à 13 ans. Elle avait pour tuteur Paul Meunier dit Lapierre (oncle paternel) et pour subrogé tuteur Richard Giard (oncle maternel). Avant de se marier, elle demeurait chez le couple Charles Jacques (oncle paternel par alliance) et Marie-Joseph Meunier dit Lapierre (tante paternelle). Le contrat de mariage (6 novembre 1763) a justement été signé dans la maison de Charles Jacques, devant le notaire Pierre Crevier-Duvernay.[37] Voici les témoins cités dans le contrat et l’acte de mariage:
Témoins du côté de l’époux (Michel):
- Nicolas Jacques (beau-père)
- Nicolas Jacques (beau-frère), capitaine de milice
- Jean-Baptiste Molleur dit Lallemand (beau-frère par alliance)[38]
- Pierre Chatel (beau-frère par alliance)[39]
Témoins du côté de l’épouse (Marie-Renée):
- Paul Meunier dit Lapierre (oncle paternel, tuteur)
- Jean-Baptiste Meunier dit Lapierre (grand-père paternel)
- Hélène Lacoste dit Languedoc (grand-mère paternel)
- Charles Jacques (oncle paternel par alliance)[40] et son épouse Marie-Joseph Meunier dit Lapierre (tante paternelle)
- Richard Giard (oncle maternel, subrogé tuteur)
- Charles Dupont (beau-frère) et son épouse Marie-Joseph Meunier dit Lapierre (soeur germaine)
- Jean-Baptiste Coitou (grand-oncle paternel par alliance)[41]
- Jean Langlois (ami)
- Antoine Giard (oncle maternel)
[Les noms de sieur Marchand, Alexis Guyon et Louis Duhamel sont également cités.]
Acte de mariage
de Michel Michelon [dit Lorange] et de Marie-Renée Meunier dit Lapierre,
8 novembre 1763, paroisse Sainte-Trinité, Contrecoeur


L’an mil sept cent soixante trois, le huitième jour
du mois de novembre, après la publication de trois [bans]
de mariage faite aux prosnes des messes paroissiales
par trois dimanches consécutifs: entre Michel
Michelon veuf de Marie Marguerite Jacques d’une
part de cette paroisse; et Marie Renée
Munier [Meunier] dite Lapierre, fille de feu François
Munier dit Lapierre et de [feu] Marie Antoine Giard,
ses père et mère, de la paroisse de l’Immaculée
Conception de Saint-Ours sur la rivière Chambly;
et [ne] s’étant trouvé aucun empêchement légitime
audit mariage, je soussigné prestre missionnaire
déclare et certifie avoir reçû leur mutuel
consentement et leur avoir donné la bénédiction
nuptiale suivant la forme et rite de nostre
Mère Sainte Église catholique, apostolique et
et [sic] romaine, en présence de Paul Munier dit La-
pierre, de Nicolas Jacques, capitaine de milice, de Charles
Jacques, J.B. Moleur dit Lallamand [Jean-Baptiste Molleur dit Lallemand], Antoine Giard,
tous alliés, et de Jean Langlois, ami et témoin,
Louis Duhamel père, amy et témoin.
[Amable] S. [Simon] Raïzenne prêtre missionnaire
Après la guerre, Michel mena une vie d’agriculteur (cultivateur, laboureur, fermier) dans la seigneurie de Contrecoeur, dans le cadre du régime seigneurial de la Nouvelle-France.[42] Le nom de Contrecoeur vient de son premier seigneur, qui fut officier du régiment de Carignan-Salières. Voici les quatre premiers seigneurs de Contrecoeur:
- Antoine Pécaudy de Contrecoeur (1596-1688)[43]
- François-Antoine Pécaudy de Contrecoeur (1676-1743)
- Claude-Pierre Pécaudy de Contrecoeur (1705-1775)
- Claude-François Boucher de La Perrière (1739-1810)[44]
Armoiries de la ville de Contrecoeur
de gueules à la bande d’or chargée de trois coeurs de gueules,
accompagnée de deux grappes de raisins d’or, feuillées du même
«À coeur vaillant tout est possible»
(blasonnement et devise)
Avec sa deuxième épouse Marie-Renée, Michel eut 12 enfants, dont 6 garçons (incluant les jumeaux Charles Tiburce et Michel Romain) et 6 filles. Je descends moi-même de Charles, l’un des jumeaux, nés le 12 août 1773.[45] Pour les enfants mariés, je mets entre parenthèses le nom des conjoint(e)s.
- Marie-Antoinette (1765-1835) (1. Gabriel Côté; 2. Joseph Fournier)
- Michel (1766-1772)
- Hélène (1768-1837)
- Alexandre (1769-1851) (Marie-Joseph Carré dit Laroche)
- Angélique (1771-1862) (François Bourgault dit Lacroix)
- Charles Tiburce (1773-1847) (Catherine Robert)
- Michel Romain (1773-1841) (Marie Dumas)
- Marie (1775-1866) (François Amiel dit Lusignan)
- Jacques (1777-1863) (1. Madeleine Chapdelaine dit Larivière; 2. Angélique Chapdelaine dit Larivière)
- Catherine (1779-1795)
- Marguerite (1781-1855) (Jean-Baptiste Phaneuf)
- François (1783-1867) (1. Luce Dansereau; 2. Charlotte Renaud dit Sanschagrin)
La descendance de Michel Michelon dit Lorange s’est développée principalement à partir du secteur suivant:
- Contrecoeur
- Verchères
- Saint-Ours
Alexandre (numéro 4) eut un fils nommé Michel (1803-1882) qui épousa Judith Peltier en 1832 à la paroisse Saint-Clément de Beauharnois et qui fonda famille à cet endroit. Ce Michel embrassa activement la cause des Patriotes, durant les insurrections de 1837-1838, comme en fait foi un article du journal La Presse, daté du 24 novembre 1923 (cliquer ici pour le fichier pdf). L’article est basé sur les souvenirs d’Agénard Lorange, le fils de Michel et de Judith, alors âgé de 82 ans. Une photo précieuse de ses parents agrémente l’article.
*****
Michel Michelon dit Lorange, soldat du régiment de Royal-Roussillon arrivé en Nouvelle-France dans le contexte de la guerre de Sept Ans, pionnier et patriarche établi dans la seigneurie de Contrecoeur, s’éteignit le 17 avril 1810, à l’âge de 80 ans, 1 mois et 21 jours. Son épouse Marie-Renée lui a survécu jusqu’au 30 janvier 1827 (née le 25 avril 1743, elle était âgée de 83 ans, 9 mois et 5 jours).
Acte de sépulture
de Michel Michelon dit Lorange,
18 avril 1810, paroisse Sainte-Trinité, Contrecoeur

Le dix huit d’avril mil huit cent dix a été
inhumé dans le cimetière de cette paroisse le
corps de Michel Michelon dit Lorange, décédé
hier âgé de quatre vingt cinq ans [en réalité: 80 ans, 1 mois, 21 jours]. Témoins
Marie Ours Graveline et François Duhamel
qui n’ont sçu signer.
[Gabriel Léandre] Arsenault prêtre [curé]
En guise de conclusion
Le patronyme de la lignée des Michalon-Michelon, de même que la récurrence du prénom Michel, peuvent indiquer un amour de prédilection à l’égard de l’archange saint Michel, le Prince de la milice céleste, le saint patron des forces militaires et policières. Nous apprenons dans le Livre de l’Apocalypse que la première guerre eut lieu dans le Ciel, la Guerre des Anges, et que celle-ci s’est poursuivie sur la terre, à travers les hommes, qui devinrent l’enjeu de la bataille:
7Alors, il y eut une bataille dans le ciel: Michel et ses Anges combattirent le Dragon. Et le Dragon riposta, avec ses Anges, 8mais ils eurent le dessous et furent chassés du ciel. 9On le jeta donc, l’énorme Dragon, l’antique Serpent, le Diable ou le Satan, comme on l’appelle, le séducteur du monde entier, on le jeta sur la terre et ses Anges furent jetés avec lui. [Ap 12, 7-9]
Cette guerre entre les forces du Bien et les forces du Mal doit se poursuivre jusqu’à la Fin des Temps. Et l’Apocalypse précise que la Femme, en ce Temps de la Fin, doit venir en personne sur la terre afin de terrasser le Dragon, selon l’antique promesse de la Genèse: «Elle t’écrasera la tête!» (Gn 3, 15)
Dans l’autobiographie mystique de ma Mère Fondatrice, Marie-Paule, nous découvrons que celle-ci fut l’instrument choisi par lequel l’Immaculée Marie s’est à nouveau rendue présente sur la terre. Et nous assistons à ce combat final, tels «des spectateurs dans une arène, qui attendent fébrilement la victoire de celui qui lutte et qui sera le vainqueur» (VA XIII, 234). Dans ce combat mystique, Marie-Paule fut assistée de l’archange saint Michel, l’un des acteurs principaux du récit autobiographique intitulé Vie d’Amour. Michel se manifeste à elle sous la forme d’un «grand ange» à l’aspect noble et respectueux, revêtu de blancheur et portant l’épée; mais aussi sous la forme d’un «petit ange», qu’elle décrit ainsi pour la première fois:
Or, celui-ci — c’est la première fois que je «vois» un tel ange — est de la taille d’un adolescent de quatorze ans. Ses cheveux sont serrés autour du visage et comme ébouriffés derrière la tête; sa jupe courte me paraît sale, parce qu’elle n’est pas blanche, le haut des jambes et ses genoux sont nus. De plus, il tient une épée, prêt à la brandir. Ses gestes sont rapides et sans délicatesse. [VA XI, 360-361]
Ce petit ange, qui est de «taille moyenne» et à la «figure ovale», porte une jupe courte de couleur qui semble sale aux yeux de Marie-Paule. L’ange précise alors que sa jupe est de couleur «AMBRE» (VA XII, 19; cf. VA XII, 270).
Le grand ange porte une belle robe blanche, longue, élégante. Ses longues ailes déployées le rendent encore plus imposant. Il travaille calmement, ses gestes sont posés. Tandis que le petit ange a une jupe courte qui lui arrive aux genoux, cette jupe de couleur «ambre» que je croyais sale parce qu’elle n’était pas d’un blanc éblouissant, qui a des cheveux épais et coiffés d’une façon étrange, et qui est si rapide dans ses mouvements. [VA XII, 51; cf. VA XII, 242-243; VA XIII, 303-304]
Wikipédia nous renseigne que l’ambre (dit aussi ambre jaune) est une résine végétale «sécrétée par des conifères il y a des millions d’années et qui s’est fossilisée» (on se croirait presque à l’époque de la Guerre des Anges). Alliant des teintes de jaune, d’orange et de brun, ainsi que différents niveaux de transparence, l’ambre fait partie des pierres organiques (non minérales) pouvant être utilisées comme gemmes. En bijouterie-joaillerie, on distingue trois types de gemmes:
- les pierres précieuses (diamant, saphir, rubis, émeraude);
- les pierres fines ou semi-précieuses (jaspe, sardoine, cornaline, topaze, améthyste, etc.);
- les pierres organiques (ambre, corail, nacre, perle, etc.).

Le Petit Larousse illustré 2004 définit la couleur ambre: «D’une couleur jaune doré ou rougeâtre.» Il me plaît de penser que la jupe courte de saint Michel, sa jupe de combat de couleur ambre, possède des reflets de teinte orange, un mot qui peut se décomposer en «or» et «ange».[46] Le capitaine Antoine de Rombies, lors de l’enrôlement de mon ancêtre en 1750 au sein du régiment de Royal-Roussillon, a donc été fort bien inspiré de lui attribuer le surnom de guerre «Lorange», pour identifier un soldat prénommé Michel en l’honneur de l’Ange Guerrier et rattaché, de surcroît, à la lignée des Michalon-Michelon.
Notes
[1]L’image de l’acte provient du site de Geneagier.com, dans la section «Photos actes état civil», département 69 (Rhône), commune d’Irigny, registres paroissiaux (1713_1731 BMS, image 357).
On peut également trouver l’image de l’acte dans les Archives départementales du Rhône (section de l’état civil, pour la commune d’Irigny, année 1730, deuxième image, l’acte se trouvant en bas à gauche).
À cette époque, sous le curé Arnaud, il y avait deux frères Dalenx qui étaient prêtres vicaires à Irigny: Jean-François et André. En comparant l’écriture et la signature des différents actes contenus dans le registre paroissial, il ressort que c’est Jean-François qui a baptisé Michel.
[2]La mention de laboureur apparaît dans l’acte de sépulture (1679). Cf. Jeanne-Marie Dureau, Papiers d’industriels et de commerçants lyonnais: Lyon et le grand commerce au XVIIIe siècle, Lyon, Centre d’Histoire Économique et Sociale de la Région Lyonnaise, 1976, p. 229 (cliquer sur le lien):
— quittance passée par A. Dufour et Pierre Chappotton à Antoine Michallon, maître maçon à Lyon. 18 octobre 1642.
Il est possible que cette mention d’un «Antoine Michallon, maître maçon à Lyon» corresponde à notre Antoine.
[3]Lyon, Imprimerie Louis Perrin, 1867 / Grenoble, Imprimerie Allier, 1969. Cet ouvrage contient «les armoiries figurées de toutes les familles nobles et notables de cette Province», accompagnées «de notices généalogiques complétant les nobiliaires de Chorier et de Guy Allard». Le texte est disponible en ligne.
[4]Louis de La Roque, Devises héraldiques, traduites et expliquées, Paris, Alphonse Desaide (graveur héraldique, éditeur de médailles), 1890, p. 154.
[5]Urbain Legeay, Histoire de Louis XI, tome I, Paris, Librairie de Firmin Didot frères, fils et Cie, 1874, p. 22.
[6]Commune française (département de l’Isère) située à environ 25 km de Grenoble, 100 km de Lyon et 135 km de Genève.
[7]Les parents de Jacques seraient Melchior de Michalon et Ennemonde de Pourret; et ceux de Clauda seraient Antoine d’Hières et Madeleine de Rivoire. Parmi les descendants de Jacques et Clauda, on trouve le nom de Balthazard. Les noms des rois mages semblent donc à l’honneur chez les Michalon.
[8]En hébreu: מִיכָאֵל / en grec: Μιχαήλ. Son nom apparaît 5 fois dans la Bible: Dn 10, 13; Dn 10, 21; Dn 12, 1; Jude 9; Ap 12, 7.
[9]Tb 12, 15; Ap 8, 2.6; Ap 15, 1.6-8; Ap 16, 1; Ap 17, 1; Ap 21, 9. Le Livre de l’Apocalypse parle aussi des «sept Esprits»: Ap 1, 4; Ap 3, 1; Ap 4, 5; Ap 5, 6.
[10]Gabriel intervient deux fois auprès du prophète Daniel (Dn 8, 15-27; Dn 9, 20-27). C’est lui qui annonça la naissance de Jean-Baptiste à Zacharie (Lc 1, 11-22) et celle de Jésus à Marie (Lc 1, 26-38). Raphaël apparaît plusieurs fois dans le Livre de Tobie.
[11]En français, nous pourrions regrouper les patronymes dérivés selon les trois radicaux suivants:
- mich- (Miche; Michel; Mihiel-Miel par contraction; Michot-Micheau-Michaud, Michotard-Michautard; Chotard-Chautard par aphérèse; Michas; Michon; Michard; Michelet; Michelot; Michelin; Michelon, Michalon);
- mig(u)- (Migue; Miguel; Miguet; Miguier; Migeon; Migelon);
- miqu- (Miquel; Miquelet-Miclet; Miquelon; Miquet).
Les patronymes en -el ou -et se féminisent aussi en -elle ou -ette. Les différences de graphies (par exemple o-au-eau, avec ou sans consonne finale muette d-s-t-x-ld-lt) s’expliquent en raison de l’évolution phonétique, syntaxique et morphologique des noms, ou par simple fantaisie orthographique ou erreur grammaticale.
[12]Il s’agit de Jeanne Barbe, née du même jour, baptisée par Henry de Bernières. Elle a pour parrain l’intendant Jean Talon et pour marraine Barbe de Boulogne. Pour accéder aux documents sur FamilySearch, il faut s’ouvrir un compte (gratuit).
[13]René Jetté, Dictionnaire généalogique des familles du Québec des origines à 1730, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 1983, p. 809.
[14]J’ai compté en tout 17 papes originaires de la France, le premier étant Sylvestre II (999-1003) et le dernier Grégoire XI (1370-1378), qui ramènera définitivement la papauté d’Avignon à Rome. Onze papes français figurent dans la Prophétie des Papes, dont les sept papes de la «captivité d’Avignon». Parmi les papes français de la Prophétie, deux ont le mot «GALLUS» («français») dans leur devise:
- 24. CONCIONATOR GALLUS («Le prédicateur français»): le bienheureux Innocent V, dominicain (1276);
- 40. GALLUS VICECOMES («Le vicomte français»): le bienheureux Urbain V, bénédictin (1362-1370).
Urbain V fut béatifié par Pie IX en 1870. Il est le seul pape avignonnais à avoir été porté sur les autels avec le titre de bienheureux. Il ramena la cour pontificale à Rome en 1367 mais, sous la pression des événements, fit retour à Avignon en 1370 (malgré les protestations de sainte Brigitte de Suède). Cf. les quatre premiers paragraphes introduisant l’article «FLOS FLORUM: the rose and the lily» (version anglaise).
Innocent V fut béatifié par Léon XIII en 1898. Il est le premier pape à provenir de l’Ordre des Frères Prêcheurs. Il y aura trois autres papes dominicains:
- le bienheureux Benoît XI (1303-1304), correspondant à la 33e devise CONCIONATOR PATEREUS («Le prédicateur de Patare»);
- saint Pie V (1566-1572), correspondant à la 71e devise ANGELUS NEMOROSUS («L’ange des bois»);
- Benoît XIII (1724-1730), correspondant à la 91e devise MILES IN BELLO («Le soldat en guerre»).
[15]Il correspond à la 23e devise ANGUINUS VIR («L’homme serpent»).
[16]«En dehors de Rome et Avignon, la ville de Lyon est celle qui reçut le plus de papes et le plus longtemps»: ainsi s’exprime le site web du Musée du diocèse de Lyon, qui dresse la liste de 13 papes ayant séjourné ou ayant fait halte à Lyon. Parmi les faits pontificaux qui ont eu lieu à Lyon, mentionnons ceux-ci:
- présidence du premier Concile de Lyon (1245) par Innocent IV (1243-1254);
- présidence du deuxième Concile de Lyon (1276) par Grégoire X (1271-1276);
- intronisation de Clément V (1305-1314), premier pape d’Avignon;
- élection et intronisation de Jean XXII (1316-1334), deuxième pape d’Avignon;
- séjour à Lyon de Pie VII (1800-1823), à l’aller et au retour, à l’occasion du sacre de Napoléon Ier à la cathédrale Notre-Dame de Paris, le 2 décembre 1804;
- pèlerinage apostolique de Jean-Paul II (1978-2005) en France, du 4 au 7 octobre 1986 (Lyon, Taizé, Paray-le-Monial, Ars, Annecy).
Philippe Pouzet écrit:
Entre tous c’est le pape Innocent IV qui a fait à Lyon le plus long séjour, tel qu’aucune autre ville, à l’exception de Rome et d’Avignon, n’en a connu de pareille durée. En effet, arrivé à Lyon le 2 décembre de l’année 1244, pour y présider, l’année suivante, le fameux concile où l’empereur Frédéric II fut solennellement déposé, le pape n’en est parti que le 19 avril 1251; il y a donc passé six années entières et quelques mois, plus de la moitié du temps de son pontificat. [«Le pape Innocent IV à Lyon. Le concile de 1245» (Revue d’histoire de l’Église de France, tome 15, n. 68, 1929, pp. 281-318)]
Innocent IV correspond à la 19e devise COMES LAURENTIUS («Le comte Laurent»).
[17]André Corvisier, Les contrôles de troupes de l’Ancien Régime, tome 1, publication du service historique de l’État-Major de l’Armée de Terre, 1968, p. 3.
[18]Les archives de ce contrôle se trouvent au château de Vincennes (France), siège du Service historique de la Défense (cote 1Yc 893). Le premier bataillon du régiment Royal-Roussillon a été contrôlé le 26 septembre 1749 à Strasbourg (cote 1Yc 895). Cf. André Corvisier, Les contrôles de troupes de l’Ancien Régime, tome 2, publication du service historique de l’État-Major de l’Armée de Terre, 1970, p. 449.
[19]Voici une classification pas forcément exhaustive des noms de guerre (avec des exemples). Il faut garder à l’esprit que l’humour, l’ironie ou les jeux de mots sont généralement sous-jacents.
- noms commençant par «Saint»: soit on «canonise» le prénom (Jean Arnaud dit Saint-Jean) ou encore le patronyme (Pierre Denis dit Saint-Denis), soit on indique la provenance d’un hagiotoponyme (Pierre-Antoine Chabal dit Saint-Fortunat, originaire de Saint-Fortunat-sur-Eyrieux, commune située dans le département de l’Ardèche)
- noms commençant par «Sans»: Sanscartier, Sanschagrin, Sanscomplaisance, Sanscrainte, Sansdéplaisir, Sansdésir, Sansfaçon, Sansgêne, Sanspareil, Sanspeur, Sansraison, Sansregret, Sansrémission, Sansoucy
- noms d’origine: Avignon, Bourguignon, Champigny, Dauphiné, Lafrance, Languedoc, Lyonnais, Perpignan, Picard, Provençal, Roussillon, Toulouse
- noms de tâches militaires: Bombardier, Laflamme, Lagrenade, Lalancette, Lalime, Laperrière, Larcher, Portelance
- noms de fleurs: Bellefleur, Bellerose, Jasmin, Lafleur, Lagiroflée, Larose, Latulipe, Laviolette
- noms d’arbres ou d’arbustes, fruitiers ou non: Delorme, Desjardins, Deslauriers, Desnoyers, Desormeaux, Desrosiers, Duchesne, Dufresne, Duverger, Laplante, Laverdure, Lavigne, Lépine, Lolivier, Poirier
- noms de vertus: Lavertu, Lafoy, Lespérance, Labonté, Ladouceur, Laforce, Lafranchise, Lajoie, Lasagesse, Latendresse, Vadeboncoeur
- noms qu’on pourrait qualifier de donjuanesques: Bienaimé, Brindamour, D’Amours, Lamoureux, Francoeur, Jolicoeur, Saint-Amant, Saint-Amour, Vivelamour
- noms anecdotiques, circonstanciels ou descriptifs: Blondin, Bonappétit, Brisefer, Brisepavé, Brisetout, Ladéroute, Laruine, Lavictoire, Leblanc, Lebrun, Passepartout, Pourdemain, Prêt-à-boire, Roux, Tranchemontagne, Videbouteille
Cf. André Corvisier, Les contrôles de troupes de l’Ancien Régime, tome 1, pp. 66-67; Luc Lépine, «L’impact des noms de guerre des militaires français sur la patronymie québécoise» (Mémoires, revue de la Société généalogique canadienne-française, vol. 52, n. 1, cahier 227, printemps 2001, pp. 53-58); Roland Jacob, Votre nom et son histoire, tome 1, Montréal, Les Éditions de l’Homme, 2006, pp. 315-325; Le Project Montcalm sous la direction de Marcel Fournier, Combattre pour la France en Amérique, Montréal, Société généalogique canadienne-française, 2009, pp. 25-26, 191.
Voici deux autres références en lien avec la patronymie des soldats français, que je n’ai pas été en mesure de consulter pour l’instant:
- Robert Dauvergne, «Les surnoms militaires en France au XVIIIe siècle» (Onomastica, revue internationale de toponymie et d’anthroponymie, vol. II, septembre-décembre 1948, pp. 237-245; cf. vol. I, 1947, p. 212).
- André Corvisier, L’Armée française de la fin du XVIIe siècle au ministère Choiseul. Le soldat, 2 volumes, Paris, Presses Universitaires de France, 1964.
[20]Selon Wikipédia, la lieue de Paris alors en vigueur (de 1674 à 1793) équivaut à 3,898 km. Irigny est donc situé à près de 8 km au sud de Lyon.
[21]Selon la date de naissance mentionnée au baptême (27 février 1730), Michel est plutôt âgé de 20 ans, 7 mois et 29 jours.
[22]1 pied = 12 pouces = 144 lignes. Selon Wikipédia, le pied de roi français, entre 1668 et 1799, mesurait 324,844 mm ou 32,484 cm. Michel mesurait donc 5 pieds (1624,220 mm), 2 pouces (54,141 mm) et 2 lignes (4,512 mm), soit un total de 168,287 cm ou 5 pieds 6¼ pouces selon le système impérial actuel. Et ce, évidemment, dans la «mesure» où les données du contrôle sont exactes (on ne sait pas, par exemple, si la mesure a été prise pieds nus ou avec les chaussures).
[23]Il correspond à la 38e devise DE ROSA ATHREBATENSI («La rose d’Arras»).
[24]Relation de Marie-Paule, à l’occasion de son premier pèlerinage à Fatima et à Coïmbra (Portugal), en mars 1973: «Le message de Soeur Lucie de Fatima» (L’Armée de Marie, vol. 3, n. 2, octobre 1973, p. 41, version reliée). Le récit de ce voyage se trouve également en Vie d’Amour, volume VIII, chapitres 49-52 (pp. 222-240).
Le décor laisse entrevoir parfois de larges étendues de sol cultivé et des arbres fruitiers où se mêlent les tons de jaune, orange, brique, vert tendre se découpant sur des nuances plus soutenues, le tout agrémenté d’un magnifique ciel azuré. [VA VIII, 230]
[25]Le livre Combattre pour la France en Amérique fait la mention suivante (nous sommes peut-être déjà ici à l’avant-garde d’un régime «vert»):
À la même époque [la Révolution américaine], la compagnie de Casaux du Régiment Boulonnois-infanterie utilise des noms de légumes: Lartichaud, Lalaitue, Lachicorée, Lecresson, Lecerfeuil. [p. 26]
Les noms de légumes ne semblent pas avoir été utilisés pour les soldats français venus en Nouvelle-France. Excluant «Lorange» ou «Loranger» (qui entrent dans la catégorie des noms d’arbres), il n’existe que très peu de patronymes reprenant des noms de fruits. Je n’ai réussi à trouver pour l’instant que Lesmerises et Laframboise. Quelques soldats, qui n’ont pas fait souche en Amérique du Nord, avaient le nom de guerre «Laframboise».
[26]Le patronyme Dorange provient peut-être, dans certains cas, du nom Fleur-d’Orange par aphérèse, plutôt que d’indiquer la provenance de la ville d’Orange. Le patronyme Orange existe également en France. Voici une page web qui tente d’en expliquer l’origine.
[27]Aïeul = grand-père; bisaïeul = arrière-grand-père; trisaïeul = arrière-arrière-grand-père ou deuxième arrière-grand-père.
[28]Cf. Combattre pour la France en Amérique, p. 18.
Une compagnie de grenadiers comporte: 1 capitaine, 1 lieutenant, 1 sous-lieutenant, 2 sergents, 3 caporaux, 3 anspessades, 36 grenadiers et 1 tambour.
L’ensemble du bataillon comporte 33 officiers et 525 sous-officiers et soldats, pour un total de 558 hommes:
- 33 officiers: 6 membres de l’état-major (1 colonel, 1 lieutenant-colonel, 1 major, 1 aide-major, 1 chirurgien-major, 1 aumônier), 13 capitaines, 13 lieutenants, 1 sous-lieutenant;
- 104 sous-officiers: 26 sergents; 39 caporaux; 39 anspessades;
- 421 soldats: 372 fusiliers; 36 grenadiers; 13 tambours.
[29]Cf. Combattre pour la France en Amérique, pp. 79-81.
[30]Cf. Combattre pour la France en Amérique, pp. 85-87.
[31]Cf. Combattre pour la France en Amérique, pp. 130-131.
[32]Cf. Combattre pour la France en Amérique, pp. 34-49.
[33]Cf. Combattre pour la France en Amérique, pp. 27, 86-87.
[34]André Vachon, «Inventaire critique des notaires royaux des gouvernements de Québec, Montréal et Trois-Rivières (1663-1764) (suite)» (Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 11, n. 1, juin 1957, pp. 103-104):
Le 26 juin 1748, Hocquart accordait une commission à Jacques Crevier Duvernay pour exercer l’office de notaire royal dans l’étendue des côtes de Verchères, Varennes, St-Ours et la rivière Chambly seulement, à la charge pour Duvernay de résider à Verchères.
Duvernay, qui était né en 1724, décéda à Verchères en mai 1762.
Le greffe de Jacques Crevier Duvernay est conservé aux Archives judiciaires de Montréal. «Il est remarquable par les nombreux contrats de mariage que l’on y rencontre en 1760, quelque temps après la capitulation de Montréal. On dirait que tous les soldats de l’armée vaincue se sont donné le mot pour aller contracter mariage à Verchères devant cet humble tabellion rural.»
[35]L’expression «consentement mutuel par paroles de présent» se retrouve telle quelle dans la bulle d’union des Arméniens Exsultate Deo (22 novembre 1439), du Concile de Florence (DS 1327). Voici le passage de la bulle où elle apparaît (en latin et en français; nous soulignons en gras):
Septimum est sacramentum matrimonii, quod est signum coniunctionis Christi et Ecclesiae secundum Apostolum dicentem: «Sacramentum hoc magnum est: ego autem dico in Christo et in Ecclesia.» [Ep 5, 32] Causa efficiens matrimonii regulariter est mutuus consensus per verba de praesenti expressus.
Le septième est le sacrement du mariage qui est le signe de l’union du Christ et de l’Église selon l’Apôtre qui dit: «C’est un grand sacrement, moi je vous le dis, dans le Christ et dans l’Église.» [Ep 5, 32] La cause efficiente du mariage est régulièrement le consentement mutuel exprimé de vive voix par des paroles.
En anglais, on trouve les traductions suivantes:
The efficient cause of matrimony is regularly mutual consent expressed by words in person.
Ou encore:
The efficient cause of matrimony is the mutual consent duly expressed in words relating to the present.
L’expression «per verba de praesenti» («par les paroles portant sur le présent» / «using words related to the present») est aussi présente dans la constitution Altitudo divini consilii (1er juin 1537), du Pape Paul III (DS 1497).
Ce «consentement» (ou «promesse», ou «engagement») mutuel ne porte pas sur le futur: «je te prendrai pour épouse», «je te prendrai pour époux» (ce qui correspond aux fiançailles). Il porte sur le présent: «je te prends pour épouse», «je te prends pour époux» (ce qui correspond au mariage proprement dit). Ce consentement doit être exprimé ou manifesté extérieurement, généralement par des paroles, de vive voix, en personne.
Telle est l’essence même du mariage: un consentement mutuel extériorisé; une promesse de fidélité mutuelle d’un homme et d’une femme, devant Dieu, pour la vie. Généralement, ce consentement est fait également «devant les hommes», devant la communauté, publiquement. Cf. l’article «L’amour ne passera jamais».
[36]Une loi britannique, entrant en vigueur le 1er janvier 1765, fixe l’âge de la majorité à 21 ans. Une deuxième ordonnance, entrant en vigueur le 1er janvier 1783, confirme cette disposition légale. L’âge de la majorité au Québec deviendra 18 ans à partir du 1er janvier 1972. Marguerite Jacques avait environ 21 ans lors de son mariage (26 février 1759) avec Michel Michelon dit Lorange, mais elle était déjà émancipée de par son premier mariage avec Alexis Hébert.
Cf. Jacqueline Sylvestre, «L’âge de la majorité au Québec de 1668 à nos jours» (L’Ancêtre, revue de la Société de Généalogie de Québec, vol. 28, n. 2, 2001, pp. 120-123).
[37]André Vachon, «Inventaire critique des notaires royaux des gouvernements de Québec, Montréal et Trois-Rivières (1663-1764) (suite)» (Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 11, n. 2, septembre 1957, p. 273):
Le dix-neuf juin 1762, Thomas Gage nommait Pierre Crevier Duvernay notaire royal dans toute l’étendue du gouvernement du Montréal, mais particulièrement dans les côtes de Verchères, Varennes et St-Ours, en remplacement de son père Jacques Crevier Duvernay, et à condition qu’il réside à Verchères.
Pierre Crevier Duvernay devenait, avec Louis Joseph Soupras, nommé le même jour, le premier notaire royal du gouvernement de Montréal à être nommé sous le régime militaire. Jusqu’à eux, Gage n’avait fait que renouveler des commissions.
Crevier exerça jusqu’en 1801.
Le greffe de Pierre Crevier Duvernay est déposé aux Archives judiciaires de Montréal.
[38]Il est l’époux de Marie-Hélène Meunier dit Lapierre, la soeur germaine de Marie-Renée Meunier dit Lapierre (la deuxième épouse de Michel).
[39]Il est l’époux de Marie-Anne Jacques, la soeur germaine de défunte Marguerite Jacques (la première épouse de Michel).
[40]Il est le fils de Nicolas Jacques (2e lit) et de Marie-Catherine Allard, donc le frère consanguin de défunte Marguerite Jacques, la première épouse de Michel Michelon dit Lorange. Ainsi, Charles Jacques, tout en ayant un lien de parenté (oncle paternel par alliance) avec Marie-Renée Meunier dit Lapierre (la deuxième épouse de Michel), avait également un lien de parenté (frère consanguin) avec Marguerite Jacques (la première épouse de Michel).
[41]Il est l’époux de Marguerite Lacoste dit Languedoc, la grand-tante paternelle de Marie-Renée.
[42]Michel est dit «agriculteur» dans les actes de mariages de ses fils Alexandre (Marie-Joseph Carré dit Laroche) et François (Luce Dansereau); il est dit «cultivateur» dans les actes de mariages de ses filles Marie (François Amiel dit Lusignan) et Marguerite (Jean-Baptiste Phaneuf). Marie et Marguerite se sont mariées le même jour, 13 octobre 1806, dans l’église Sainte-Trinité de Contrecoeur. Les cinq fils mariés de Michel (Alexandre, Charles, Michel, Jacques, François) sont dits «agriculteurs» ou «cultivateurs» («laboureur» dans le cas de Michel), soit dans leurs actes de mariage, soit dans leurs actes de sépulture.
[43]Antoine s’est marié une première fois avec Anne Dubois, le 11 janvier 1652, à Saint-Chef (commune française du département de l’Isère). Anne était veuve sans enfant d’une première union. Or, trouvaille inattendue!, Anne était la fille d’Antoine Dubois et de Suzanne Michallon. Ainsi, le premier seigneur de Contrecoeur, avant de venir en Nouvelle-France (où il mariera en secondes noces Barbe Denys), avait tissé des liens avec des Michallon en Dauphiné. Anne Dubois n’a pas eu d’enfant non plus de sa seconde union avec Antoine Pécaudy de Contrecoeur.
[44]Voici comment Claude-François devint seigneur de Contrecoeur. Son grand-père paternel, René Boucher de La Perrière (1668-1742), eut deux enfants: Marie-Madeleine (qui épousa Claude-Pierre Pécaudy de Contrecoeur) et François-Clément. Ce dernier est le père de Claude-François (qui épousa Charlotte Pécaudy de Contrecoeur, la fille de Claude-Pierre et Marie-Madeleine). Claude-François épousa donc sa cousine germaine et devint le gendre de Claude-Pierre. C’est ainsi qu’il devint le 4e seigneur primitif ou principal de Contrecoeur.
[45]Le Martyrologe romain célèbre, à la date du 11 août, la fête liturgique de saint Tiburce, martyr à Rome sous Dioclétien.
[46]Pour faire un autre jeu de mots, en lien cette fois avec la Prophétie des Papes, citons la 106e devise, celle attribuée au Pape Pie XII, le pasteur angélique:
PAST[OR/ANGE]LICUS.
Gros travail de recherche très approfondi! Très intéressant pour les généalogistes qui veulent mieux connaître l’histoire de la famille Lorange et celle du nouveau monde par le fait même. Bon travail P. David!
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